Les eaux troubles de l’holistique

Juin 1, 2023 | Choisir ses mots

ou l’art du gloubiboulga par les descendant·es de Madame Soleil

Il y a quelques temps, une personne que je suis sur Instagram a partagé un morceau de l’histoire de la vraie Madame Soleil. Ça m’a fait sourire, un peu comme quand on me donne un petit papier carré à Barbès pour me vendre les services d’un grand guérisseur qui va résoudre tous mes problèmes (amoureux, de santé, les esprits qui habitent mon appartement, l’argent que je n’ai pas… vous avez l’idée).
Si je vous disais de prendre rendez-vous chez Jean-Michel-Gourou-de-Barbès ou Madame Soleil vous me ririez au nez, et pourtant… Qu’en est-il des Jeanne-Michelle-Gourou-2.0 qui prospèrent à l’ère des prédictions personnalisées destinées à leurs dizaines de milliers d’abonné·e·s sur les réseaux sociaux ? Pourquoi voyons-nous clairement le danger d’un billet distribué à la sortie du métro ou collé dans notre boîte aux lettres mais nous sommes ravi·e·s de fermer les yeux sur les dangers de ce qui se passe sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années ? Vérifiez-vous à qui vous faites confiance ? Peut-on vraiment s’assurer que ces prétendu·e·s cartomancien·ne·s, médiums, astrologues, coachs de vie, magnétiseur·euse·s, énergéticien·ne·s, et j’en passe sont des personnes qui ne profitent pas de la tendance? Aujourd’hui l’autorité se construit par l’influence, les metrics, les likes, le nombre d’abonnés qui comptent plus que l’expertise. La confiance des utilisateurs est conquise à grand coup de stratégies sur les réseaux sociaux et le web et non plus grâce à la qualité des services proposés. 

Influence et enfermement

Depuis que nous nous sommes retrouvé·e·s enfermé·e·s sous la contrainte pendant plusieurs mois avec une atmosphère de fin du monde, un changement s’est opéré (plus d’un d’ailleurs). 

Le monde de l’influence a muté et les tendances avec lui. Les codes et les méthodes de base restent les mêmes, seulement les produits vendus évoluent. Exit les journées shopping, les évènements tendances et les studios de yoga à la mode. Bienvenue dans l’ère du live gratuit, du cours sur donation et de la masterclass offerte. Tremplin vers un programme en ligne plus ou moins bien ficelé vendu pour une somme à 4 chiffres.

Je pense que c’est le bon moment pour vous citer Saint Bernard, à qui on attribue le proverbe de circonstance, et de vous rappeler que l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Dans ce contexte d’enfermement, de tension permanente, on réalise vite que si la santé est au cœur du problème, la santé mentale est un enjeu immense de la crise qui nous touche. Je suis consciente en écrivant ces lignes que le sujet de cette santé mentale, et d’ailleurs la quasi-totalité de ce propos, concerne une frange privilégiée de la population mondiale qui n’a pas pris de plein fouet des questions de survie ne laissant pas la place à ces considérations.

Revenons à nos “bonnes intentions”, les professionnel·le·s du bien-être et de la sphère dite spirituelle (qui est en réalité, le milieu de l’ésotérisme, nous reviendrons dans un autre article sur cette confusion de langage qui nuit énormément à la sécurité des personnes qui consomment des prestations et outils dans ces milieux – on questionnera aussi l’aspect volontaire des amalgames créés…) se sont dit que c’était le moment de partager au monde leurs outils pour aller mieux, se sentir mieux, etc. 

Sur le papier je n’ai rien à redire. 

Seulement n’oublions pas que nous sommes à l’heure de l’influence, de la gratification immédiate et que les problèmes étaient assez facilement prévisibles.

C’est là que la machine se met en marche. Les pratiques que je connais depuis des années et dont on ne parlait, jusqu’ici, que très peu (Reiki, cartomancie, voyance, magnétisme…) deviennent aussi tendance que les thés qui te font perdre 10kg avant même que nous ayons eu le temps de dire ouf…

À la dérive

Ma première réaction est l’espoir. Je me dis qu’on va démocratiser des pratiques qui, j’en suis intimement persuadée, peuvent aider les personnes à aller mieux. Je l’ai vécu, ce mélange de médecine allopathique et de médecines dites “alternatives” qui permet de guérir, d’aller plus loin que le symptôme physique. C’est ce qui m’a aidée à sortir de la dépression, entre autres. Clairement je n’avais pas vu le mur arriver. 

Les promesses mensongères se multiplient, tout le monde est médium, tout le monde est coach, tout le monde possède la solution miracle à tes problèmes. Tout ce qui nous arrive est justifié par “les énergies” qui sont décryptées par des illustres inconnu·e·s qui nous expliquent “savoir”. Le dérapage n’est pas contrôlé… Le marketing est férocement efficace et l’industrie du bien-être présente un chiffre d’affaires presque équivalent au marché pharmaceutique en France (avoisinant les 40 milliards d’euros selon l’INSEE).

Le problème c’est que le contexte anxiogène, l’état fébrile des personnes, les décès que nous avons tous·te·s vécus (parmi nos proches ou d’un peu plus loin), la détresse collective, tout cela fait de nous des cibles faciles. Il est facile de succomber à l’appel des sirènes de ce monde “holistique”. Il est aussi facile de succomber aux charmes de notre envie de sauver les autres, c’est d’ailleurs comme ça que des dizaines (je suis gentille) de coachs fleurissent ces dernières années. Comme si le parcours “trauma – thérapie – coaching – formation (pas toujours) – coach/thérapeute” était la nouvelle norme. La dérive ici est simple : ce n’est pas parce qu’on a été en thérapie ou en coaching qu’on peut s’autoproclamer coach ou thérapeute… (je reviendrais sur ce point dans un autre article). On se retrouve donc avec des personnes sans qualification qui proposent des accompagnements à des personnes en situation de détresse plus ou moins grave (il existe une méthode miracle pour tout : santé, business, amours…). Pas besoin d’être médecin pour comprendre l’étendue des dangers que cela représente. 

Je me vois encore aujourd’hui reprendre les gens qui me présentent comme “coach”:  non je ne suis pas coach, je n’ai pas fait d’école de coaching et je ne connais pas les méthodes de coaching.

La nuance

Je voulais donc dans cet article reprendre une des bases du problème. Dans un monde où l’immédiateté prime, on raccourcit et simplifie les propos jusqu’à les vider de leurs sens. Ne me dites pas que 10 slides dans un carrousel Instagram ou une minute de vidéo sur TikTok (aussi pertinentes soient ces dernières) suffisent à faire le tour d’un concept. Quel que soit le thème. 

Je suis peut-être vieux jeu, mais j’ai été nourrie aux essais que je lisais et je garde pas mal de séquelles de ces années passées à forger mon esprit critique. Alors quand je vois qu’on mélange allégrement les concepts, qu’on emploie les mauvais mots pour parler des choses, qu’on raconte tout bonnement des absurdités sur une musique à la mode, ça me hérisse le poil. 

Comment peut-on prôner aborder des sujets spirituels sans jamais utiliser le temps long et la nuance? 

Ma réponse est simple : c’est impossible. 

Vous avez évidemment le droit de ne pas être d’accord, c’est assez sain le désaccord (bien qu’on l’oublie dans le monde actuel), c’est ce qui nourrit réflexions et débats.

Pourquoi l’absence de nuance est problématique? Au-delà de l’aspect tyrannique? 

Dans la mesure où le sujet abordé est le bien-être, la spiritualité, et donc souvent par extension la santé et l’intimité de chacun; il paraît ubuesque d’appliquer un conformisme outrancier aux propos partagés (je parle ici des fameuses “trends” auxquelles tout le monde se plie pour expliquer en 90 secondes des concepts complexes). Vous voyez poindre le non-sens quand l’injonction à “incarner votre unicité” est doublée d’une liste de qualités à cultiver ou d’actions indispensables pour y parvenir? Quid des cases dans lesquelles on veut vous enfermer à grand coup d’archétypes et de tests en tout genre? Attention, j’adore les tests depuis que j’ai acheté mon premier Fan2 et je suis une grande amatrice d’astrologie et de psychologie archétypale. Mais là encore : nuance, temps long et analyse véritable sont de mise

L’absence de nuance, résultant de l’absence de temps et de place pour elle dans les formats de prédilection déjà mentionnés précédemment, nous a amené à un savant mélange (que j’aime qualifier de Gloubiboulga en hommage à ce cher Casimir) des concepts et des termes. Les conséquences sont parfois désastreuses. Les mots holistique, spirituel, ésotérique, sacré, magique, prêtresse, thérapeute, et j’en passe sont utilisés à tort et à travers. Ombre d’eux-mêmes… Cette série d’articles vise à vous donner un éclairage sur chacun de ces termes afin d’être mieux équipé·e quand vous naviguerez au milieu des sorcières et gourous de TikTok et d’Instagram, évidemment il s’agit du résultat de mon expérience et de mes recherches. 

Holistique

Je vais donc conclure en commençant par le mot holistique, et puis je vais suivre la règle fixée il y a des années par ma mère “vérifie dans le dictionnaire”. 

Le Larousse nous dit : “En épistémologie ou en sciences humaines, relatif à la doctrine qui ramène la connaissance du particulier, de l’individuel à celle de l’ensemble, du tout dans lequel il s’inscrit.”

Le Robert propose : “Qui relève du holisme, qui s’intéresse à son objet dans sa globalité.”

Il y aurait donc un concept plus philosophique derrière les sorcières du net? 

L’holisme est un concept complexe qui a été utilisé en philosophie, en psychologie et dans de nombreuses disciplines (marketing, médecine, etc.) et souvent ses contours sont flous et divergent d’une théorie à l’autre. Je ne vais pas vous faire ici un duplicata de la page Wikipédia dédiée au sujet que vous pouvez consulter sans moi. Le terme vient du grec ancien holos qui signifie “entier”. Il s’agit donc de considérer l’objet (ou le sujet) dans son entièreté. Selon Jan Christiaan Smuts (ancien premier ministre sud africain), le holisme est « la tendance dans la nature à constituer des ensembles qui sont supérieurs à la somme de leurs parties, au travers de l’évolution créatrice ». 

A ce stade vous vous demandez comment on est passé de Jan Christiaan à nos sorcières de TikTok, moi aussi. Le concept a été simplifié à l’extrême et réduit à une infime partie de sa définition complexe. Il a aussi été roulé et mélangé dans les notions de spiritualité, d’ésotérisme et d’occulte. 

Le concept d’holisme est controversé depuis sa création car, comme le souligne Raùl Magni-Berton (politologue français), il n’est pas défini par les gens qui se revendiquent de ce mouvement de pensée mais par ceux qui s’y opposent et le dénonce. Il propose d’ailleurs une citation édifiante de Bourdieu (considéré comme holiste par ses pairs) pour étayer son propos : « D’abord ce mot “holiste” ne veut pas dire grand chose. […]. C’est un mot qu’un certain nombre de gens parmi les économistes et les sociologues opposent au concept “individualiste”. En général, “holiste” est un mauvais mot, une insulte […]. Les gens qu’on met dans cette case expliqueraient les phénomènes sociaux comme une totalité par opposition à ceux qui partent des individus. C’est une opposition qui n’a pour moi aucun sens comme l’opposition entre individu et société. Elle est partout, sert de sujet de dissertation mais elle ne veut strictement rien dire dans la mesure où chaque individu est une société devenue individuelle, une société qui est individualisée par le fait qu’elle est portée par un corps, un corps qui est individuel […]. »

Pourquoi j’insiste sur ce point? Pour vous montrer que même dans les milieux pointus des sciences sociales la définition du concept est sujet de polémique. Ce concept une fois édulcoré semble prédestiné à semer le trouble.

 

Je comprends ce que veut dire la personne qui se revendique thérapeute holistique (prétentieuse que je suis), elle sous-entend pratiquer diverses pratiques qui considèrent ses clients dans leur entièreté (holos, vous vous souvenez?). Cependant il a été constaté par le Groupe d’études des mouvements de pensée en vue de la protection de l’individu (Gemppi) que « les thèses holistiques, dans leur immense majorité, se conçoivent en effet en confrontation avec la science classique : derrière des façades très lisses affirmant venir en appui de la médecine classique, dans le secret des cabinets le discours se relâche »

La terminologie, par sa nature floue et vaste, ouvre une couverture idéale pour les personnes n’étant pas qualifiées. L’appropriation du terme par la sphère du bien-être et de la spiritualité sur les réseaux sociaux est inquiétante, car, sous couvert d’être holistiques, les faux thérapeutes fleurissent et les injonctions dangereuses pleuvent. 


Je vous propose de regarder de plus près les hashtags liés au sujet (chiffre en date de mars 2023):

J’ai fait ce relevé rapide pour vous montrer l’ampleur du phénomène. Je n’ai pas accès aux nombres de comptes se revendiquant “thérapeute holistique”. L’objet de mon propos n’est pas de discréditer tous les thérapeutes qui utilisent ce qualificatif, l’objet est de remettre de la conscience et du sens derrière les mots qu’on utilise. 

Il n’est pas question avec cet article de demander à toutes les personnes utilisant le qualificatif holistique de le retirer, mais plutôt de mieux l’expliquer à leur audience et à leur client·e·s. Je ne suis pas la police du qualificatif. Ma volonté est plutôt de mettre en lumière les dangers de l’imprécision. 

Le terme holistique est en réalité un bon moyen de montrer aux utilisateur·ice·s la volonté de tenir compte de l’intégralité de leur environnement et de leur histoire dans la prise en charge qu’on leur propose. Il est pourtant essentiel de rappeler que cela n’est en aucun cas une garantie de ne pas les renvoyer vers un médecin, de leur offrir une solution miracle ou encore de pratiquer quelques rituels ésotériques… Pour moi le terme holistique témoigne de la volonté d’inclusivité et de nuance d’un praticien, c’est la marque d’une ouverture d’esprit et d’une capacité de remise en question de la part de la personne qui choisit de se définir avec ce terme. Comme tout être humain j’associe, à l’aide de mes biais personnels, des notions précises à ce que signifie le terme holistique. Vous êtes libres de faire la même chose.

Quand j’emploie le terme holistique sur Céleste, je parle de notre capacité à tenir compte de la personne dans sa globalité, dans son environnement. J’aimerai que ce terme dans cet espace ne soit pas détourné pour se substituer à des concepts liés à l’ésotérisme, la spiritualité ou des courants religieux. 

 

Je suis persuadée que si vous savez ce que veut dire holistique et ce qui se cache souvent derrière alors vous serez armé·es pour vous protéger. Car l’objectif est de vous permettre de prendre soin de vous en gardant le meilleur des deux mondes (médecine allopathique et dites douce). Cela n’est possible qu’en reprenant le pouvoir via la connaissance. La prochaine fois qu’un·e thérapeute se dit holistique demandez à en savoir plus : quelle est son approche? Quelles sont ses formations? Est-iel vraiment thérapeute? 

Ne vous laissez pas avoir par un terme qui a été délavé par trop d’utilisation, munissez-vous de votre libre-arbitre et ouvrez le dialogue. 

 

Je vous propose de se retrouver très vite pour éclaircir d’autres termes afin de vous permettre d’évoluer en sécurité. Nous aborderons aussi le sujet des injonctions que j’ai mentionnées à plusieurs reprises.

Prenez soin de vous.

Clémence

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